Le magazine des acteurs du développement durable dans le Grand Ouest mars 2018 / Mars 2018 / N°01
Dossier
Loi PACTE : vers une refondation de l’entreprise ?

A travers le projet de Loi « pour la Croissance et la Transformation des Entreprises » (PACTE), le gouvernement invite les sociétés françaises à réformer leur « objet social » pour qu'elles ne se limitent pas à la seule recherche de profit, et intègrent des préoccupations sociales et environnementales au cœur de leurs activités. Toute la question est désormais de savoir si cela se fera sur une base volontaire, ou si le changement sera inscrit dans le Code civil.

 

INSUFLER UNE NOUVELLE VISION DE L’ENTREPRISE

C’est l’une des ambitions du Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises (PACTE). Après une large consultation qui s’est clôturée en février dernier, des propositions ont été formulées à ce sujet.

En parallèle, le Gouvernement a confié une mission à Nicole Notat, présidente de Vigeo-Eiris et à Jean-Dominique Sénard, président du groupe Michelin, tous deux experts de la responsabilité sociétale des organisations. Ils formuleront des propositions sur la manière dont les entreprises peuvent adopter un objet social étendu, et ainsi concilier la recherche de profit avec l’intérêt général.

Pour y parvenir, le gouvernement réfléchit à la création d’un nouveau statut : celui des entreprises à mission, qui prévoient l’ajout d’objectifs sociétaux, non-financiers, au projet de l’entreprise. « L’enjeu est de corriger cette priorité absolue accordée aux actionnaires et de permettre aux dirigeants d’engager des investissements de long terme au service d’une mission partagée avec l’ensemble des parties prenantes (salariés, fournisseurs, clients, créanciers…) » explique le cabinet Prophil.

Des modèles comparables se retrouvent aux Etat-Unis : les Benefit Corporations. Sans adhérer pleinement au cadre de l’économie sociale et solidaire, sans non plus tourner le dos au modèle lucratif classique, ce statut d’entreprise serait susceptible d’offrir une troisième voie intéressante entre ces deux manières d’entreprendre.

Mais le caractère facultatif de ce statut interroge. Pour impulser un véritable changement d’échelle, ne faudrait-il pas faire évoluer le code civil ? 

 

REDEFINIR L'ENTREPRISE

Car c’est dans le code civil qu’apparait l’objet social des entreprises. Cette dernière y est définie, dans ses articles 1832 et 1833, comme une entité devant créer de la richesse dans « l’intérêt commun des associés » (nulle trace ici de leurs parties prenantes) et dans un seul but : « le partage des bénéfices ». Cette définition, qui n’a pas évolué depuis deux siècles, consacre un rôle purement financier pour les entreprises, sans y préciser les missions d’intérêt général auxquelles elles peuvent contribuer.

Un projet de loi inédit, intitulé « Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances », proposait récemment de compléter l’article 1833 du code civil, en y ajoutant : « La société est gérée conformément à l’intérêt de l’entreprise, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de son activité. »

Il s’agissait alors d’inscrire la responsabilité sociétale dans la définition d’une entreprise. Une telle disposition bousculerait bien des aspects de leur organisation : tout particulièrement leur gouvernance, en mettant les intérêts des associés et des parties prenantes sur un pied d’égalité. Bien que renvoyée en commission des lois pour être étudiée dans le cadre du PACTE, cette proposition reste plus que jamais d’actualité.  

De nombreux personnages du monde politique et économique ont manifesté leur soutien à cette idée : au sein du gouvernement (le Ministre de la Transition écologique et solidaire), dans certains syndicats (la CFDT), mais aussi dans le monde de l’entreprise (Les PDG de Véolia et Danone).

Mais des acteurs incontournables tels que le MEDEF ou la CPME s’y opposent fermement. Ils craignent que ce texte, créant un droit opposable susceptible de démultiplier les contentieux juridiques avec les parties prenantes, ne fasse peser une contrainte dangereuse sur les entreprises.     

 

S'INSCRIRE DANS UNE TENDANCE DE FOND

Le rapport de la mission Notat/Sénard vient d'être dévoilé ce vendredi 9 mars. Ses deux auteurs plaident pour introduire le concept « d’enjeux sociaux et environnementaux » dans le code civil, en modifiant l’article 1833 : « La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Les auteurs ne considèrent pas nécessaire de créer un nouveau statut « d’entreprise à mission ». En revanche, une « raison d’être » pourrait être précisée dans leur objet sociale.

Ces évolutions impliquent deux questions fondamentales, qui se posent déjà à toutes les entreprises. La première concerne leur finalité. Qu’apportent-elles à la société et à l’environnement ? Quelle utilité veulent-elles, doivent-elles, peuvent-elles avoir pour leur territoire ? La deuxième est celle de leur gouvernance. Comment donner l’importance suffisante à leurs parties prenantes et prendre en compte leur voix, pour se mettre au service du plus grand nombre ?

Dans l’ouest, les entreprises à s’être lancées dans cette grande réinvention sont déjà nombreuses. En pays de la Loire, elles sont plus de 500 à s’être engagées dans une démarche RSE. L’Ouest compte aussi, depuis 2017, deux Benefit Corporation « à la française », labélisées “B Corps” : Smiile (Saint-Malo) et Toovalu (Nantes). D’autres belles histoires, telles que celle de Delta Meca (Couëron), première SCOP d’amorçage française, démontrent qu’une entreprise aux valeurs fortes peut choisir de matérialiser cet engagement en changeant ses statuts.

La Bretagne et les Pays de la Loire sont aussi le berceau de nombreuses démarches motrices en la matière, telles que la plateforme RSE de Nantes Métropole, la plateforme RSE des Pays de la Loire, les Dirigeants Responsables de l’Ouest, Bretagne éco-entreprises, des clusters, des syndicats et fédérations d’entreprises…

En s’appuyant sur ce dynamisme et en se saisissant de ces tendances de fond, le Grand Ouest pourrait se distinguer comme pionnier du mouvement de réinvention de l’entreprise. Le Comité 21 Grand Ouest se tient, dès aujourd’hui, à la disposition des organisations qui souhaiteraient amorcer une réflexion autour de ces questions.  

 

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Pour en savoir plus

>>>> Découvrir les résultats de la consultation

>>>> Découvrir l'avis de la Plateforme RSE de France Stratégie sur le projet de loi

>>>> Découvrir le B Lab, association de promotion des Benefit Corporation 

>>>> Découvrez le rapport "L'entreprise, objet d'intérêt collectif" de la mission Notat/Sénard


 

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